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21 février 2006

Vieille montre (fin)

Pour retrouver le début de l'histoire :

cliquer sur  Le début de l'histoire.

*

La fin:

pendule2Comme il arrive dans la vie, je fus un jour confronté à une situation pénible concernant un être qui m'était très proche. Il y a quelques semaines en effet, j'appris que mon meilleur ami était très malade. Je n'avais pas revu Alain depuis plus d'un an car il habitait en province et la vie professionnelle que je menais ne s'accordait guère aux moments de détente propices à des retrouvailles. Cependant, nous étions toujours en correspondance et je m'était inquiété ces derniers temps de l'absence de lettres. et pour cause, le brave ami était à l'hôpital .

Au téléphone la voix de Marie, sa femme, était brisée par l'émotion. C'était important, une maladie dont l'issue semblait fatale. Aussi, devant la gravité de la situation, je laissai pour une fois mon égoïsme de côté, pris un congé exceptionnel et partis à Poitiers réconforter la femme et visiter l'ami. A l'hôpital, je fus effrayé de voir à quel point la maladie avait transformé Alain en quelques semaines. Le pauvre vieux était en piteuse état et s'il pouvait parler, sa voix était entrecoupée de respirations rauques qui n'auguraient rien de bon. Pourtant, il fit un effort pour plaisanter afin de retrouver un peu de cette belle connivence d'adolescent qui avait toujours accompagné notre très ancienne relation. En sortant de sa chambre, j'étais bouleversé. Ses tentatives pour rire et sortir des bons mots avaient quelque chose de poignant quand on savait l'issue que le sort lui réservait. Mais surtout, avant que je le quitte, il me parla de cette opération décisive dont il était incapable de prendre seul la décision. Les médecins étaient partagés . Certains disaient que c'était nécessaire et qu'il y avait même l'espoir , certes ténu, d'une rémission . Les autres pensaient que l'opération étaient trop dangereuse et pouvait précipiter la fin. La thérapie chimique donnait à leurs yeux le même espoir de guérison. . Alain les avaient même entendu se disputer à ce propos devant son lit de souffrance .

" tu comprends, mon Vieux, ils ne savent pas... Finalement, c'est à moi de décider et je n'y arrive pas. La plupart du temps, je dors avec tous ces trucs qu'ils me font avaler. Je n'arrive pas à me concentrer suffisamment pour poser le pour et le contre . Qu'est-ce que tu en penses, toi ?

- Et Marie, répondis-je un peu lâchement,pour échapper à sa question, , et Marie, qu'en pense t-elle?

- Écoute, tu te doutes à quel point tout cela est dur pour elle . Je ne voudrais pas qu'elle se sente responsable d'un échec. Je suivrai ton avis, parce qu'entre nous, c'est différent. Je te dis que si ça foire, tu n'as pas à te sentir coupable puisque c'est moi qui ne sait pas choisir... Enfin, tu comprends..

- Je veux bien t'aider, mais au fond, c'est toi qui choisiras .

- Peut être bien. Mais dans tous les cas, j'ai besoin de ton avis....

- Je dois y réfléchir.

- Fais vite.

- Demain...Je t'appelle."

Il sourit, et ce fut la dernière fois que je le vis.

pendule2De retour chez moi, je décidai sans bravoure qu'il me fallait encore une fois m'en remettre à la vieille montre. Je voulais poser deux questions en ajoutant qu'une des alternatives était liée au déplacement des aiguilles. Mais avant, je voulais être sûr que la montre répondrait à ma sollicitation car depuis quelques mois,bien que j'eusse laissé beaucoup de temps entre chaque consultation , elle parlait rarement .La main sur le tiroir du bureau comme j'en avais pris l'habitude, je l'interpellais mentalement par ces mots :

" Mon ami est malade. Je dois l'aider à prendre une terrible décision. Veux tu m'aider? si oui, bouge !"

Il m'était arrivé une fois, lorsque la montre parlait beaucoup, d'oublier la dernière heure indiquée. Je m'étais retrouvé dans la situation paradoxale de celui qui ne sait pas si l'oracle a parlé. Depuis cette mésaventure, je notais consciencieusement l'heure après chaque consultation sur un petit bout de papier que je glissais entre le cadran et le couvercle de la montre. Or, quelle ne fut pas mon étonnement en constatant la disparition de ce repère ! Le papier était bien là mais l'heure n'était pas inscrite . Je tournai machinalement le papier dans tous les sens. Rien. Il tomba sur la pointe d'un stylo plume sans capuchon. La pointe était encore grasse d'une encre violette et le papier s'en imbiba sous mes yeux.

Alors se produisit un fait incroyable qui me transporta d'épouvante. Sur le papier imbibé d'encre se détachaient en blanc, comme un négatif, cinq lettres bien visibles quoique mal tracées et qui formait le mot : " ALAIN"

Par quel prodige ces lettres apparurent sur un bout de papier, c'est ce que je suis encore bien incapable de dire. Cependant, qu'importe le procédé, je sais que la montre était à l'origine de ce tour surnaturel . Je l'ai su dès l'instant. Ainsi, elle comprenait... Elle allait donc m'aider ! Je lui reposai ma question en prenant bien soin d'enregistrer la position des aiguilles. Mais elles ne bougèrent pas . Dix fois, vingt fois je réitérai la question. Peine perdue, la montre ne pouvait pas m'aider, ou plutôt, elle ne voulait pas.

" Ainsi, me dis-je tremblant d'horreur, elle sait et elle ne veut pas . elle se comporte comme une personne capricieuse et hautaine. J'étais sûr qu'un jour je serai son esclave et bien voilà, ça y est, elle fait ce qu'elle veut . au moment où j'en ai le plus besoin, quand il s'agit d'une question de vie ou de mort,elle ne veut pas... Mais elle prend bien soin de me faire comprendre qu'elle choisit de se taire !Mon Dieu, je vais devenir fous..."

J'étais dans un état d'énervement tel que je me mis à l'insulter, à la menacer de destruction , à la malmener comme une chose vivante à qui ont veut faire rendre gorge. Mais rien n'y fit, elle ne bougea plus ses aiguilles. Alors, je me mis à genoux, la suppliant de répondre une dernière fois, de rendre un ultime oracle. En contrepartie, je promis de ne plus la déranger, de sacrifier tous les avantages que j'avais acquis grâce à sa bienveillante prodigalité . Cela non plus ne l'affecta pas. Je dus me rendre à l'évidence, elle ne parlerait pas et je ne saurai quoi répondre à la terrible attente de mon ami…

pendule2Aujourd’hui, je sais que j'aurai pu me passer de cette aide maléfique. J'aurai dû faire un choix et le proposer à mon ami. De tout évidence, cela n'aurait pas changer l'inéluctable et tragique dénouement. D'ailleurs, Alain le savait. Mais au moins aurai-je offert à cet être cher le témoignage sincère d'une amitié qui va jusqu'au bout. Finalement, ce que demandais mon ami, ce n'était pas de l'aider à choisir une solution. Il voulait simplement que je l'accompagne un peu, au seuil de sa vie...

Il y a quelques jours, il est mort, sans que j'ai osé lui reparler. Je l’ai donc enterré avec un sentiment de honte.

Hier matin, je décidai donc de me séparer de l'objet qui était en train de me voler mon âme. Mon idée était de la jeter tout bonnement à la poubelle après l'avoir fracassée par quelques coups de marteau . Je montais dans mon bureau avec ma caisse à outil pour exécuter la sentence. Je sortis la montre et la posai sur un chiffon. J'étais animé par un sentiment de revanche et de liberté. J'allais retrouver une vie normale et renvoyer au néant ces pouvoirs extravagants qui n'agissaient que pour le mal. Cependant, alors que mon bras armé du marteau allait s'abattre sur la montre, ma femme entra dans le bureau . Je ne l'avais pas entendue venir et je fus surpris par sa soudaine apparition. Son visage interrogateur brisa mon élan. J'hésitai. A ce moment , j'étais encore maître de mon destin, je pouvais encore abattre le marteau et en finir. Mais je ne le fis pas .

" Qu'est- ce que tu fais ?

- Rien.

- Mais si, tu es en train, de casser la montre de ton père.

- Je n'en veux plus.

- C'est idiot. Si tu n'en veux plus, il y a un moyen plus simple de t'en séparer. Va la vendre, elle vaut une petite fortune ! "

J'acquiesçai, penaud. Comment aurais-je pu lui expliquer qu'il fallait la briser, l'anéantir pour qu'elle ne puisse plus répandre ses maléfices. Qui m'aurait cru ? Quand je fus seul à nouveau, il était trop tard. Le sentiment de revanche et de liberté avait disparu et il ne restait que l'amertume d'un pouvoir déchu.

Il y a quelques heures, je suis retourné à mon bureau. Je ne l'ai pas quitté depuis. Je suis là, assis à ma table de travail, comme mon père jadis. J'écris ce que vous êtes en train de lire. J'ai fait table rase et, de temps à autre, j'interromps mon écriture pour jeter un coup d'oeil attentif aux chiffres qui se succèdent sur la petite horloge à quartz que j'ai posée devant moi. Tout à l'heure, je ne sais pas ce qu'il m'a pris . Sans doute une part de moi même ne voulait elle pas renoncer : Cette montre m'a offert tant de privilèges.. Alors, pour comprendre, ou simplement pour renouer avec les moments privilégiés de mon pouvoir sur le temps, je me suis mis à l'examiner en détail. J'ai vu la caisse à outil que j'avais laissée là, hier . Après avoir sorti les tournevis de précision, j'ai entrepris de démonter la montre. Comprendre, comprendre bien sur...

Mais, je l'avoue, j'avais aussi le secret espoir de la réparer, ou, pour être plus exact, de trouver le mécanisme magique pour le remettre en branle et forcer la montre à m'obéir à nouveau... à l'intérieur, ce n'était qu'un mécanisme assez simple, ressors , roues crantées, crans, vis minuscule. En touchant un de ses éléments, j'ai entendu un petit déclic puis le tic tac banal d'une montre qui marche. J'ai d'abord exulté.

" Je t'ai eu, je t'ai eu sale tocante , me suis je même exclamé à haute voix !"

Cependant, la fièvre retombée, j'ai observé la montre plus attentivement. Pour l'avoir réparée, je l'avais bien réparée... Voila qu'elle semblait fonctionner à merveille, comme la plus banale des montres! Pour en être sûr, j'ai posé le petit réveil à quartz sur mon bureau, j'ai réglé la vieille montre - ce que je n'avais jamais réussi à faire auparavant, car le bouton tournait dans le vide - et j'ai observé pendant un bon quart d'heure la course des aiguilles. Au fur et à mesure que la grande aiguille avançait, égrenant les minutes avec la rectitude des meilleurs horloges, entraînant inexorablement la petite aiguille vers l'heure juste, ma satisfaction s'est changée en dépit . La montre était définitivement réparée et je pouvais seulement l'utiliser comme un objet quotidien, dépourvu de toute magie . Je suis resté pendant de longues minutes dans une morne introspection :

" Comment vais je faire maintenant ? Maudit objet qui m'a volé ma volonté !

Si je n'avais pas eu cette petite lucarne sur l'avenir, j'aurai fait comme tout le monde,j'aurai fait des choix . Parfois judicieuses, d'autre fois erronées , les décisions toutefois auraient été les miennes. L'expérience aidant, j'aurai bâti une vie à la seule force de ma volonté. Tandis que maintenant je suis lâche, sans repère, sans expérience réelle de l'échec et de la réussite. J'ai perdu un temps précieux. Il va me falloir le rattraper. Mais comment affermir cette volonté devenue molle, comment durcir cette personnalité de caoutchouc ? Peut être en oubliant toute cette magie, en me forçant à croire qu'il s'agissait d'un leurre, d'une illusion, d'une folie dont je dois me guérir. surtout, je devrai maintenant admettre qu'il n'y a pas de moments particuliers dans la vie, que chaque instant est important, que chaque seconde doit être vécue comme la plus important des secondes. »

J'en était là dans mes réflexions quand un bolide fulgurant a traversé mon cerveau. C'est idée est venue s'imposer comme évidence absolue :

" C'est ce que me dit la montre en se mettant à fonctionner correctement ! Oui, elle me dit que chaque moment de ma vie est important, que j'aurais dû le savoir , que j'aurais dû résister aux sirènes de l'avenir !

Et maintenant , tu es sur la mauvaise voie ! Tu ne sais plus comment on fait pour choisir, pour se tromper, tu ne sais plus risquer !

Chaque moment de ta vie t'engage à un choix et ce choix est aussi important que celui fait dans les grandes occasions. Car maintenant je montre toutes les heures, toutes les minutes et tous les instants! Mais tu as peur …tu ne sais plus... Ou plutôt, tu le sais tellement bien que c'est devenu un fardeau insupportable. Il pèsera sur tes épaules tout le reste de ta vie, ça sera ta croix, ton inguérissable folie."

J'ai pris la montre et je l'ai fracassée en la lançant violemment contre le mur. Je me suis approché des

débris  et j'ai pleuré.

pendule2Maintenant le mécanisme est éparpillé, le verre brisé mais le cadran est miraculeusement préservé. Je l'ai posé sur la table à côté du réveil à quartz. Je les regarde. J'ai fait table rase. A aucun moment un autre objet ne peut me distraire de ma destinée: Dans le choc, les aiguilles ont changé de place et indiquent une heure figée dans l'éternité. Bientôt le réveil à quartz indiquera la même heure qu'elle. Je prends soin de terminer ce récit dans le délais qu'elle a bien voulu me laisser. Car son message est clair: Elle a fixé l'heure de mon expiation. Je l'ai tant maudit et maintenant je la bénis. Elle m'accorde une grâce comme jadis, sans doute, elle en accorda une à mon père.

J'ai appris, trop tard,mais j'ai appris: Les mauvais choix, les erreurs ne nous appartiennent pas. Ils sont les conséquences ultimes de notre liberté.

Oui, pour vivre heureux,il faut avoir la liberté de se tromper.

montre22

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Commentaires
L
C'est une fiction, bien sûr Lutin. mais j'ai aussi une vieille montre ... Celle de mon grand père. elle m'a fait rêver. Il faut peut être que le rêve s'empare de notre histoire pour en faires des histoires. Votre rose est sans doute encore trop votre histoire pour que vous puissiez en faire une ?
L
Je ne sais si c'est fiction ou réalité mais la lecture s'accélère progressivement, une envie de connaître la fin, une façon de se retrouver dans le comportement, une rose à la place d'une montre.<br /> <br /> Dans mon salon une rose rouge maintenant séchée par huit mois trône sur une commode. Je l'ai cueillie d'un cercueil. Je l'interroge chaque jour, j'ai voulu la jeter, j'ai tendu la main, je l'ai prise, devant la poubelle ma main s'est arrêtée. Sur la commode elle a repris sa place, elle se reflète comme avant dans une glace elle est deux.<br /> <br /> lutin
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