La folie des enfers
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La sirène du fleuve a des yeux de hibou
Qui percent la pénombre de lames affutées,
Ses ailes en silence embrassent le néant
Où l'âme crie muette d'absurdes vérités.
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Maîtresse de tout en ces lieux dérivants
Ses cheveux s'arriment aux ancres de la nuit,
Des bateaux quille levée s'enfoncent dans la boue
Et les marins perdus se battent pour un appui.
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C'est un long et sinueux fleuve de glace
Entrechoquant sans fin de frêles continents
Qui charrient nos âmes ramassées en carcasse,
Chacune sur son glaçon et la bouche en avant.
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La déesse au coeur noir y plante son harpon
Décrochant les morceaux qui se soudent aux rives,
Et si par le hasard il se faisait un pont
Elle plonge dans la vase pour saper les solives.
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Mais voilà que chacun sur son île en dérive
Se prend pour un savant maîtrisant l'Achéron,
A les croire leur esprit invente les salives
Qui ordonnent la barque et commandent à Charon :
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"Je suis le ténébreux ! "chante l'un à tue tête
Reprenant sans comprendre les affres du poète
Une autre fait la belle , s'agenouille en prophète
Et tous s'imaginent que la mort est une fête.
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Ils ne font que passer , inverse de ce qu'ils furent
Les ongles bien plantés dans leur belles effusions,
Mais qu'un peu de lumière perce le noir azur
On les voit comme ils sont , esclaves des illusions.
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La débacle reprend fracassant opéra
Solitude en congère et chaos de moraines,
Les larmes se glacent sur des masques grenas
Mais personne ne sait plus qui pleure d'avoir froid...
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Frères maudits du fleuve qui coule dans nos veine
Je saigne avec vous sur ces glaces d'effroi ,
J'adresse à la lumière cette unique prière
Qu'au delà du delta nous retrouvions la mer...
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Là bas, on affrète les barques du désir
Pour savoir si les ciels se marient au soleil,
Et l'ombre capitaine des voilures vermeilles
Fait un hâvre de paix où il fait bon dormir .
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Carte postale ancienne.
Image offerte par Opale.